Biographie
Une enfance parisienne
Tout commence par une photo d’enfant. Pas encore un autoportrait. Un garçonnet en costume marin, uniforme convenu des enfants sages de la bourgeoisie du début du XXème siècle, observe la boîte noire qui fixe son image.
Qui tient l’appareil ? Probablement son père, Emeric Ostier, fondé de pouvoir à la banque Rothschild. D’origine viennoise, israélites, intégrés, laïques convaincus, Emeric Ostier et sa femme Clarisse Alcan privilégient à toute religion l’enseignement des valeurs morales de la République française.
Né le 4 avril 1906 André Ostier témoigne avoir été « très choyé par des parents peu sévères. » Eduqué au lycée Janson de Sailly dans le XVIème arrondissement de Paris, le jeune homme a le goût des arts et de la littérature et s’y signale par plusieurs accessits en latin, français et dessin. Il fréquente assidûment les concerts et aime les longues promenades dans la capitale. « J’aimais beaucoup aller sur les quais. J’allais au Louvre sans que personne ne m’y conduise. C’était ma joie. »
De son enfance et sa jeunesse, André Ostier garde les souvenirs très sensibles d’un temps révolu. Il se sent exprimé par l’œuvre de Marcel Proust à qui il consacrera une partie de ses travaux. A 14 ans, l’adolescent acquiert de lui-même un petit tableau orientaliste d’Albert Marquet, première acquisition qui traduit ses prédilections pour la peinture et l’exotisme.
Arts et Sciences politiques
Après l’obtention de son baccalauréat, André Ostier entre en 1924 à l’Ecole Libre des Sciences Politiques. Il n’y achève pas ses études mais y croise le jeune Christian Dior, d’une année en avance sur lui. Dans le Paris vibrant d’activité artistique de l’entre-deux guerres, il s’inscrit à l’académie de la Grande Chaumière dont il abandonne rapidement les ateliers, jugeant ses résultats médiocres : « la main et le crayon ne répondaient pas à ma volonté ». Il fréquente les galeries, se lie avec des collectionneurs et, doté d’une grande curiosité, affine ses goûts littéraires et artistiques.
Libraire et journaliste
Après son service militaire effectué à Paris à l’Inspection générale de l’artillerie, André Ostier devient de 1928 à 1934 gérant de la librairie-galerie de l’avenue de Friedland, « A.L.P. », « À la Page ». Il y organise des signatures et y expose, entre autres, Le Corbusier et Max Jacob.
Intellectuel raffiné, homosexuel discret nullement rejeté par sa famille qui accepte tacitement ses inclinations, André Ostier voyage et mène une vie mondaine. Il se lie avec le poète et critique franco-américain Edouard Roditi ainsi qu’avec le collectionneur et marchand d’art britannique Arthur Jeffress qu’il lui arrive de conseiller dans ses achats. Il gravite dans l’entourage de Max Jacob, cénacle informel où il retrouve Christian Dior, Jean Follain, le galeriste Jacques Bonjean, le compositeur Henri Sauguet et de nombreuses personnalités du tout-Paris intellectuel.
Après avoir un temps songé devenir éditeur, il se tourne dès 1934 vers le journalisme. Il publie des reportages coécrits avec Edouard Roditi, ainsi que des chroniques pour Le Figaro Illustré et le Magazine d’Aujourd’hui.
Vocation affirmée
André Ostier acquiert son premier Rolleiflex en 1938 et, la même année, part pour Palmyre, en Syrie. « C’était à l’époque un endroit très difficile d’accès. J’en ai rapporté des photos qui n’étaient ni bonnes, ni mauvaises et… j’ai perdu tous mes négatifs ! Mais parmi mes photos de cette année-là j’ai retrouvé un portrait d’Emile Bernard : c’est le premier peintre que j’ai photographié. » André Ostier, qui n’a jamais caché son admiration pour Nadar, marque ainsi le début d’un des grands axes de son œuvre : « Je me suis dit qu’une façon de mieux connaître les peintres et les sculpteurs, était de faire leur portrait. »
Travaux en zone libre
La défaite française de juin 1940 pousse André Ostier à fuir en zone Sud non occupée. Auparavant, il a réalisé des clichés de Paris et Versailles mis en état de défense, statues et monuments entourés de structures protectrices et de sacs de sable. Hébergé quelque temps dans les Pyrénées orientales, il se fixe ensuite à Cannes, sillonne la côte d’Azur et photographie des personnalités du cinéma et du music-hall qui, tout comme lui, poursuivent leurs activités sur la côte d’Azur. Alors que les lois anti-juives lui interdisent toute activité dans la presse, peintres et sculpteurs lui offrent des rencontres privilégiées. Une chaleureuse rencontre à Banyuls avec Aristide Maillol prélude à des visites chez Henri Matisse puis Pierre Bonnard. Il réalise de chacun d’eux des images devenues aujourd’hui des incontournables.
Paris et la Prison
Revenu à Paris fin 1943 en usant de faux papiers, André Ostier mène une vie semi-clandestine et refuse de porter l’étoile jaune. Dénoncé à la police française en mai 1944, il est arrêté et échappe de justesse à la déportation. Emprisonné quatre mois dans une cellule bondée de la prison de la Santé parmi les droits communs, il y est témoin de la grande mutinerie du 14 juillet 1944 réprimée par des exécutions sommaires. « J’ai échappé pendant la guerre à une fusillade. Cela m’a enseigné le sens de la relativité. » Les combats pour la Libération de Paris ne sont pas achevés lorsqu’il sort de détention.
Accrédité auprès des armées de Libération, il suit la brigade Alsace-Lorraine et les commandos de France, photographiant Malraux – alias colonel Berger – et les hommes en opération jusqu’à ce qu’un accident de Jeep interrompe sa mission.
Immédiat après-guerre
En janvier 1945, le premier numéro du Vogue français, dit « Vogue Libération » est en partie réalisé grâce aux photos d’André Ostier. Y sont entre autres publiés ses clichés des statues du Parc de Versailles abritées derrière des sacs de sable prises en 1940, et accompagnés d’un poème de Paul Eluard qu’ils ont inspiré.
L’amoureux de Paris immortalise des quartiers jusqu’alors peu changés, désormais bousculés par une modernisation à marche forcée et les progrès de l’urbanisme moderne. Cette démarche est vécue avec le sentiment de devoir sauvegarder dans l’urgence l’âme ancienne de la capitale. Il en sortira un album posthume « Paris avant qu’il ne soit trop tard », édité par son ami Thomas Michael Gunther.
En 1946, André Ostier publie chez Albin Michel la traduction qu’il a réalisé pendant les années d’occupation du roman « La rue des Magnolia », best-seller des années trente de l’auteur anglais d’origine juive et ukrainienne Louis Golding. D’autres projets de traduction dont on trouve trace dans sa correspondance n’ont pas été réalisés, la photographie et de multiples thèmes de prise de vue occupant toute son activité dès la fin de la guerre.
Mode
De 1945 jusqu’à l’aube des années 1980, la vie d’André Ostier est rythmée par les présentations des collections automne-hiver et printemps-été de la haute couture parisienne. Sans dédaigner le studio, il sera l’un des premiers à faire sortir les mannequins dans la rue pour les photographier en situation, travaillant sur un rythme intense pour les grands couturiers, les fabricants de tissus et les créateurs d’accessoires. Peu échappent à ses objectifs. De Christian Dior à Balenciaga, d’Yves Saint-Laurent à Gabrielle Chanel, André Ostier témoigne de l’évolution de la mode, immortalisant tout à tour les modèles de Paquin, Dessès, Schiaparelli, Jacques Fath, Cardin et bien d’autres. Les collections de tissus ou celles du chausseur Roger Vivier sont aussi, d’année en année passées en revue.
Publiant ses photos dans « Vogue », « Plaisir de France » et autres revues haut de gamme, accompagnées parfois d’articles de sa plume, André Ostier s’intéresse aussi aux couturiers eux-mêmes qu’il photographie dans leurs ateliers, au bureau, parfois dans leur intimité, nouant avec eux une complicité respectueuse.
Il conçoit et réalise des prises de vues pour les campagnes de publicité des parfums de grands couturiers, tel « Si » de Schiaparelli. André Ostier restera toujours captivé par haute-couture, assistant aux défilés avec passion jusqu’à son dernier souffle.
Artistes et écrivains
Débutée en 1938, la série des portraits d’artistes occupa André Ostier toute sa vie. Répondant à ses aspirations artistiques et littéraires, ce fut une part privilégiée de son travail. Débutée avec Emile Bernard puis Aristide Maillol, Henri Matisse, Pierre Bonnard et Christian Bérard photographiés pendant l’occupation, André Ostier se fit très tôt reconnaître comme un portraitiste remarquable, sachant avec un talent très subtil témoigner de l’intériorité des personnages.
André Ostier rencontre George Braque et Marc Chagall en 1947, une véritable amitié se nouant dès cette année là avec Chagall et son épouse Vava. L’année suivante il photographie pour la première fois Picasso sans son atelier de la Californie où il reviendra à plusieurs reprises. Dali est photographié à Cadaquès, Miro à Barcelone, le jeune César dans son entrepôt de métallerie de Villetaneuse. Bernard Buffet devient un ami posant régulièrement pour André, tout comme Léonor Fini. Précisant ne photographier que les artistes qu’il apprécie et privilégiant les scènes d’atelier, André Ostier rencontre Fernand Léger, Andy Warhol, Francis Bacon, Niki de Saint-Phalle, Giacometti, Calder, Veira da Silva, Muzic, Tapiès, Lanskoy, Tal Coat et beaucoup d’autres.
Ecrivains, poètes et dramaturges sont photographiés dans le même temps : Gide, Mauriac, Cocteau, Prévert, Simone de Beauvoir, Breton, Aragon, Tennessee Williams, Julien Green… Proche du couple formé par Marcel et Juliette Achard, il fréquente aussi des américains, le romancier et biographe Edmund White, le diariste et compositeur Ned Rorem, prix Pulitzer 1976, et Paul Bowles, rencontré lors de fréquents séjours à Tanger. Grand lecteur de Marcel Proust et des études proustiennes, André Ostier illustre la version anglaise du livre « A la recherche de Marcel Proust », d’André Maurois.
Bals et mondanités
De 1945 au tout début des années soixante-dix, André Ostier est l’un des principaux photographes de la « Café Society » qui, bien avant l’ère des « peoples », rassemble aristocratie internationale et célébrités du monde des arts. Familier de Charles de Beistegui, Alexis Rédé ou encore de Marie-Laure de Noailles, il photographie les grands bals costumés et événements mondains de l’après-guerre : bal d’Hiver, bal des Rois et Reines, bal au château de Villarceaux ou chez Anténor Patino « roi de l’étain », inauguration du théâtre de Groussay, bal du Siècle à Venise au Palais Labia, bal oriental à l’hôtel Lambert et beaucoup d’autres. Acteur et témoin parmi des invités triés sur le volet, André Ostier témoigne d’une époque avec conscience « de faire œuvre de mémorialiste. Je sais que ce n’est pas une démarche de création comparable à celle d’un peintre ou d’un sculpteur mais je pense faire œuvre utile. »
Voyages
Passionné de voyage depuis toujours et curieux de tout, André Ostier va chercher à l’étranger les lieux singuliers qui l’attirent. En 1957, avec son ami Edouard Roditi il réalise un reportage au Mont Athos, obtenant de séjourner une quinzaine de jours sur place et réalisant les premières photos couleur de ce haut-lieu monastique. Une grande exposition et plusieurs articles s’ensuivront. De même, sera-t-il parmi les premiers à photographier en Italie les jardins Renaissance de Bomarzo et leurs sculptures grotesques à peine dégagées de la végétation qui les envahissaient. Plus tard, il photographiera à New Delhi les jardins astronomiques de Jai Sinh II dont les images feront l’objet d’une publication à part entière.
André Ostier ne cesse de voyager dans le monde entier, se rend une dizaine de fois en Inde, visite seul ou avec des amis Hong Kong, le Sri Lanka, la Birmanie et la Chine, les vestiges aztèques du Mexique, le moyen Orient, effectue de fréquents séjours en Grèce, en Espagne, en Allemagne et au Maroc où il séjourne régulièrement à Tanger.
Sillonnant la France dans les rapides coupés et cabriolets qu’il affectionne, André Ostier réalise de nombreux reportages pour la presse magazine sur les régions, l’architecture et la décoration d’intérieur.
Cinéma, Théâtre, musique et danse
Dès 1941, alors qu’il est réfugié à Cannes, André Ostier photographie acteurs, actrices et metteurs en scène. Mistinguett, Arletty, Maurice Chevalier, mais aussi Micheline Presles, Danielle Darrieux ou Marc Allégret posent devant son objectif. Il fréquente Claude Dauphin et son frère Jean Nohain, croise Jean Gabin, Tino Rossi, ou Mireille Balin.
Plus tard, il photographiera sur les plateaux Jean Marais, Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault de même que les répétitions des ballets de Roland Petit dont les costumes sont dessinés par Yves Saint-Laurent. Dans les années soixante – soixante-dix, le jeune Rudolf Noureev, Margot Fonteyn, Noëlla Pontois, Maurice Béjart sont saisis dans l’exercice de leur art.
Fréquentant dès les années trente le compositeur Maurice Sauguet, André photographiera également les américains Ned Rorem et Virgil Thomson, ce dernier composant dès 1940 un « portrait musical d’André Ostier » pour piano seul.
« Pour moi, l’acte de photographier est une manière d’écrire. C’est comme si j’écrivais une histoire introductrice à la compréhension du modèle afin de lui faire exprimer ce qu’il a de différent, de particulier afin de « donner à voir » selon la belle expression de Paul Eluard son monde intérieur. Je ne cherche pas la photo parfaite techniquement. Je ne fais jamais de recadrage. Je cherche d’abord à saisir une atmosphère, à capter le moment où il se passe quelque chose de plus. »
André Ostier avait 14 ans de moins qu’André Kertész et Man Ray, 7 ans de moins que Brassaï, 2 ans de moins que Cecil Beaton, 2 ans de plus que Cartier Bresson, 4 ans de plus de Willy Ronis, 6 ans de plus que Robert Doisneau, 17 ans de plus qu’Edouard Boubat, Richard Avedon. Comme eux et avec eux, il a animé le mouvement moderne d’une photographie profondément humaniste rendant compte des sensibilités de son temps.
Son cœur s’arrête soudain de battre le 19 janvier 1994 à la mi-journée, au retour d’un ultime défilé de mode. Il allait avoir 88 ans.