André Ostier

André Ostier, hiver 1956, Paris.

André Ostier, le Rolleiflex en bandoulière, a photographié son époque.

Il aurait eu cent ans cette année. De Matisse à Picasso, des Noailles aux Lopez, il a su prendre au piège de son appareil les artistes et les gens du monde. Il a promené sur eux un regard attentif, curieux, bienveillant.

La cruauté n’était pas son fort. Il savait que c’est un travers facile dans lequel certains photographes se perdent. L’empathie qui le reliait à ses modèles allait de soi.

Il a su mieux qu’un autre attraper au vol l’interrogation de l’artiste comme il a su montrer l’ironie et la légèreté d’un monde disparu. Ses photographies sont autant de documents précieux qui racontent une histoire. Celle d’un monde insouciant où l’art et la vie semblaient aller de pair. Mais, ne nous y trompons pas, comme celle de tous les créateurs, l’œuvre d’André Ostier recèle bien des tourments, bien des interrogations. Jean Cocteau disait qu’il n’y avait rien de moins objectif qu’un objectif. André Ostier n’était pas objectif et c’est de lui qu’il parle d’abord. Ce sont ses admirations, ses goûts, ses passions qu’il dévoile. Son œuvre raconte sa vie et ses secrets.

Ceux d’un homme patient qui savait traquer le temps et l’observer avec une insatiable gourmandise.

Je ne parlerai pas de l’ami que j’ai bien connu, des joies partagées. Je me souviens de lui, distant, discret, précis. De sa mémoire, de sa culture, de son intelligence. De ces années qui ont filé comme le vent. Puisse cette exposition rendre compte de son talent qui était rare et le montrer tel qu’il était vraiment : un témoin de son temps.

Pierre Bergé
Catalogue André Ostier, Photographies – Fondation Pierre Bergé, Yves Saint-Laurent

Il fut un temps, André Ostier. 

Au moment où il nous semble évident, voire indispensable, de montrer les photographies d’André Ostier, il nous faut affirmer qu’elles appartiennent à un monde qui fut. Et qui a totalement disparu, qui s’est éteint dans l’évolution de la société telle qu’elle est devenue. […]

Ce préambule n’a rien de nostalgique (je n’ai pas connu l’époque qu’illustrent ces photographies et je me refuse à les regarder comme des référents à la seule mémoire d’un univers passé et qui aurait été ‘meilleur’) mais il exige que je situe un certain nombre de faits qui questionnent autant l’univers du luxe, le statut et la perception des créateurs, écrivains, couturiers ou peintres, que la place et la fonction du photographe.[…] En ces temps-là, les écrivains, peintres, danseurs, chorégraphes ou musiciens qu’il fréquente ne sont pas des « people » ! Le terme, d’ailleurs n’existe pas, ni la presse qui va avec. Seul, peut-être, un Jean Cocteau qui sait mieux que tout autre, en élégant dandy, cultiver son image de marque et la communication qui en découle ouvre la voie à ce mode de médiatisation.[…]

Des personnages aussi différents qu’Henri Matisse, Pierre Bonnard, André Breton ou Leonor Fini sont simplement des artistes qui se préoccupent de leur œuvre et ne sont pas assaillis par les sirènes de la promotion par la presse. Ils sont, certes, heureux que les gazettes rendent compte de leur actualité, de leurs expositions ou de leurs publications, mais l’espace, aujourd’hui tellement réduit, des revues est plus important pour eux que les pages des magazines à grand tirage.[…]

Chez André Ostier, dans les portraits, point de formalisme, point de maniérisme, juste la capacité, toujours sensible, de révéler un instant comme significatif, de le voler parfois (Bonnard), de l’installer, souvent, en demandant à ses modèles de sacrifier à l’exercice de la pose (Picasso et sa céramique de Vallauris) pour constituer l’album d’une famille qui n’appartient qu’à lui et à son époque.[…]

Il nous faut regarder attentivement le portrait qu’il réalisa d’Andy Warhol, grand amateur de photographie, boulimique auteur d’autoportraits et grand poseur, et qu’il a su regarder avec une simplicité exemplaire pour comprendre l’évidente attention, toujours calme, qu’il portait, avec sympathie, sur ses modèles.[…]

Photographe, vraiment photographe, aussi discret qu’il était élégant – toujours tiré à quatre épingles et d’un humour ravageur – André Ostier s’était assigné la fonction de conter un monde mêlant avec bonheur artistes et aristocrates, jusqu’à s’intégrer lui-même à cet univers.

Christian Caujolle
Extraits du catalogue André Ostier, Photographies – Fondation Pierre Bergé, Yves Saint-Laurent

Les planches contact d’André Ostier

 

André Ostier n’avait pas de studio. Il photographiait ses sujets chez eux, dans leur atelier, dans leur jardin, au théâtre, dans la rue, lors de vernissages ou de soirées. Le développement et le tirage de ses photographies étaient confiés à des professionnels.

Pour présenter ses photographies, André Ostier faisait le tour des rédactions des journaux et des magazines susceptibles de s’intéresser à son reportage. Chez lui, il rangeait les négatifs selon un système de numérotation en chiffres romains pour les albums et en chiffres arabes pour les clichés individuels, notant le sujet sur une liste qui accompagne l’album, et collant de petits tirages des meilleures images sur une planche contact dûment référencée.

Quand André Ostier recevait des personnes intéressées par ses photographies, il ne leur montrait pas d’agrandissements, comme il appelait les tirages de grande taille, mais les planches contact qu’il avait préparées, afin que le visiteur, qu’il soit éditeur, rédacteur, auteur, documentaliste, commanditaire ou collectionneur, puisse faire son choix. Lors de ces rendez-vous, les photographies n’étaient pas montrées d’emblée. André interrogeait ses visiteurs sur leur activité, l’actualité, les dernières expositions, les concerts récents, les voyages effectués, les projets de vacances et d’avenir. Dans la conversation, on revenait, si le temps le permettait, à la photographie. Le sujet était évoqué, puis une histoire, souvent drôle, était racontée à propos de l’événement, du personnage ou de son destin. Enfin, pouvait venir le moment délicieux de la présentation des planches contact, commentées par leur auteur, qui situait l’occasion, décrivait les conditions de la prise de vue, et appréciait l’attitude du sujet.

La disposition des contacts sur la planche mérite également l’attention. Jamais la même, l’organisation semble s’inspirer de la perception qu’avait le photographe de la qualité graphique et de l’intérêt documentaire des images sélectionnées.

Thomas Michael Gunther
Catalogue André Ostier, Photographies – Fondation Pierre Bergé, Yves Saint-Laurent